De la naissance de Pierre Curie en 1859 au décès de Frédéric Joliot en 1958

Pierre Curie ne fréquente aucun établissement scolaire. Sa mère lui apprend à lire et à écrire. Son frère aîné Jacques et son père prennent le relais dans son instruction. A 14 ans, il est confié à un professeur de mathématiques, Alexandre Bazille, qui l’initie par ailleurs au latin, nécessaire pour le baccalauréat qu’il obtient en 1875.

En 1876, Sophia sœur ainée de Maria est emportée par le typhus. Sa mère, atteinte de tuberculose, décède deux ans plus tard. L’établissement secondaire choisi pour Maria enseigne en polonais, alors qu’il doit utiliser le russe. Il faut donc donner le change lors des visites d’inspections et c’est alors à Maria, la meilleure élève, que l’on confie ce rôle

Marie est d’abord accueillie chez sa sœur et son beau-frère dans le nord de Paris dans une ambiance chaleureuse rassemblant les étudiants polonais. Les trajets à effectuer pour rejoindre la Sorbonne lui font perdre beaucoup de temps et elle décide de louer une chambre d’étudiant plus proche.

En 1894, Gabriel Lippman, son mentor à la Sorbonne, lui obtient un contrat de travail de recherche sur le magnétisme des aciers à la Société d’Encouragement pour l’Insdustrie nationale (SEIN).

Le mariage, civil, a lieu le 26 juillet 1895 à la mairie de Sceaux dans la banlieue-sud de Paris. Le père et les sœurs de Marie, présents, font la connaissance de la famille de Pierre. Marie porte une robe bleu foncé, pouvant être ensuite utilisée au laboratoire. Les deux jeunes gens reçoivent en cadeau de mariage deux bicyclettes avec lesquelles ils partent aussitôt en vacances.

Dans cette même année 1898, le jeune physicien Ernest Rutherford s’intéresse aussi aux rayons uraniques. Il y distingue deux types de rayonnements qu’il appelera en 1902 Alpha et Beta.

Après la découverte du radium, le sujet attire un nombre croissant de physiciens et de chimistes. Becquerel s’y intéresse à nouveau. Les Curie savent que le radium n’est qu’en quantité extrêmement faible dans les substances qu’ils ont préparé. La mesure de la masse atomique du radium, que vise Marie pour sa thèse nécessite de séparer un sel de radium pur. Les Curie ont été lourdement handicapés par le manque de moyens pour atteindre ce but.

Le père de Frédéric, Henri Joliot né en moselle, ancien communard, revient de son exilé en Belgique pour épouser Emilie Roederer qui issue d’une famille alsacienne, protestante et libérale. Négociant aisé, il est surtout chasseur et pêcheur, compositeur de musique reconnu pour le cor de chasse.

Une chaire de physique est crée à la Sorbonne pour Pierre Curie. Marie Curie y est nommée chef de travaux. Pierre Curie est élu à l’Académie des sciences. La célébrité qui accompagne le Prix Nobel devient envahissante.

La santé de Pierre en particulier se détériore. C’est en vallée de Chevreuse qu’ils se reposent. Les Curie n’ont pas pu être présents à la remise des Prix.

En 1915, Marie et Irène Curie partent, avec leur chauffeur, en voiture, pour se rendre à Hogstad, en Flandres, où le roi Albert s’est replié devant l’invasion de la Belgique. Elles y restent quelque temps pour organiser le service de radiologie.

Les besoins en personnels capables de maîtriser le fonctionnement des appareils de radiologie sont considérables. Les formations d’infirmières radiologistes dirigés par Marie Curie à l’Institut du radium permettent de former 150 manipulatrice radio. Marie Curie se charge des cours théoriques, Irène Curie, Suzanne Weil et surtout Marthe Klein se chargent des travaux pratiques.

En 1920, Marie Curie finit par accepter de recevoir une journaliste américaine. A sa surprise, Marie Meloney dite Missy ne l’interroge pas sur sa vie privée, elle lui pose de multiples questions sur sa vie au laboratoire et les difficultés de celui-ci dans un pays ruiné par la guerre. Marie Curie est conquise. Il s’en suit une discussion de fond et la proposition de Missy de lancer une souscription parmi les femmes américaines pour l’achat d’un gramme de radium.

Missy a suscité un intérêt passionné pour Marie Curie pour le radium comme soin contre le cancer auprès des Etatsuniennes. Marie Curie se rend aux Etats-unis l’année suivante, accompagnée de ses filles et reçoit symboliquement le gramme de radium des mains du Président à la Maison blanche.

Le circuit de visite prévu est épuisant. Elle se fait remplacer par Irène pour parler dans telle université, mais retrouve toute son énergie pour visiter les mines et usines de Pittsburg.

La collaboration entre les deux laboratoires de l’Institut du radium celui de Marie Curie sur la chimie et physique des rayonnements et, celui de Claudius Regaud sur l’impact des rayonnements sur le biologique, est étroite. Le laboratoire Curie prépare les ampoules de radon indispensables aux recherches de Regaud. Les deux laboratoires reçoivent de nombreuses subventions et dons.

La création de la Fondation Curie en mai 1921 d’utiliser ces dons pour de nouveaux développements. Marie Curie est élue à l’Académie de médecine en 1922.

C’est à Irène Curie que Marie Curie confie le formation du jeune préparateur, ignorant en radioactivité. Au début, Frédéric Joliot accepte mal d’être dirigé par une femme, de surcroît, sans ménagements mais la situation évolue vite. « J’ai découvert dans cette jeune femme un être et de poésie » répondra-t-il dans une interview. Un an plus tard il part en vacance avec Irène Curie et ses amis. Ils sont bientôt fiancés.

Il n’y a pas que la vie au laboratoire. Marie se rend à plusieurs reprises en Pologne. Elle passe aussi une partie de l’été dans la petite maison qu’elle a fait construire à Cavalaire. Les Joliot partent en vacances l’hiver pour le ski, et surtout l’été à l’Arcouest dans la maison construite en 1926. Frédéric Joliot s’intègre dans le milieu avec Jean Perrin en particulier. Il se singularise avec l’utilisation d’un canot pour pêcher, le Marsouin.

Irène et Frédéric publient quelques résultats ensemble dès 1928, puis travaillent en équipe jusqu’en 1935. Après un travail sur un sujet mineur, ils entreprennent des expériences, avec une méthode analogue, en vue d’en savoir plus sur le mystérieux rayonnement extrêmement « pénétrant » découvert en 1931 par les allemands Walter Bothe et Herbert Becker. Ils découvrent en janvier 1932 que ce rayonnement, émis par réaction nucléaire sur le bore projette des protons de grandes vitesses hors des substances hydrogénées. Cette expérience ouvre la voie à la découverte du neutron par James Chadwick

Malgré leurs inquiétudes croissantes pour l’avenir, les Joliot-Curie changent aussi peu que possible leur mode de vie. A côté du travail au laboratoire, d’interventions culturelles ou plus politiques, et pour Irène de périodes de repos parfois quasi journalières dues à une tuberculose en développement, les habitudes sont conservées avec les amis le dimanche, les séjours pour le ski et l’Arcouest.

Dès 1935, Frédéric Joliot a pour priorité la construction d’accélérateurs et la production de radioisotopes artificiels. Il utilise les installations de la C.G.E à Ivry, avant d’obtenir leur rachat par la CNRS. Il souhaite développer dans ce «laboratoire de synthèse atomique » des recherches en radiobiologie utilisant des traceurs radioactifs. Nommé au Collège de France, il entreprend la construction d’un cyclotron, copie du modèle dont Ernest Lawrence lui a envoyé les plans.

Frédéric trouve le laboratoire occupé par les allemands. Le responsable de l’équipe allemande est Wolfgang Gentner que Joliot connaît bien depuis le séjour de ce dernier à l’Institut du radium. Leur amitié a perduré, les opinions anti -nazi de Gentner ne font pas de doute. Il en résulte une réunion clandestine où sont définies les conditions, acceptables pour Joliot, qui vont permettre la réouverture du laboratoire par les autorités d’occupation.

L’arrestation de Paul Langevin en novembre 1940 et son incarcération à la prison de la Santé est un choc dans l’université. Frédéric Joliot ferme le laboratoire en protestation. Il se rapproche du groupe de l’Université libre crée par des proches du parti communiste. : c’est l’entrée en résistance.

En 1941, il devient un dirigeant du Front national de lutte pour la libération de la France. Il est arrêté à deux reprises et libéré après des interventions de Gentner. Il n’est plus question de départ en vacances en Bretagne ou en montagne. Frédéric apprécie la pèche près du barrage de Soisy sur Seine, qui joint l’utile à l’agréable.

En juin 1943, Frédéric Joliot est élu à l’Académie des sciences et en novembre à l’Académie de médecine. C’est un camouflet pour Vichy. Dans plusieurs conférences publiques, il s’exprime sur les perspectives de relèvement scientifique futur de la France. Il noue des liens avec des industriels résistants, crée un syndicat d’études. En janvier 1944, il devient clandestin, Irène et les enfants passent en Suisse. En août 1944, il participe à l’insurrection parisienne.

Les objectifs de Frédéric Joliot, nommé directeur du CNRS sont multiples : Créer une direction plus collégiale, donner au CNRS un rôle de coordination des recherches relevant des différents ministères, obtenir les moyens de relancer la recherche scientifique pour laquelle il parvient à obtenir des moyens.

Dès septembre 1944 et toute l’année suivante, Frédéric Joliot et Raoul Dautry préparent avec les services du gouvernement provisoire la création d’un organisme chargé du développement de l’énergie atomique en France. L’ordonnance du General de Gaulle publiée le 18 octobre 1945 crée le Comissariat à l’énergie atomique. Les nominations interviendront début 1946.

L’été 1945, les Joliot se rendent à l’Arcouest : Le terrain autour de leur maison n’a pas encore été déminé, celle des Perrin non plus n’est pas habitable. Les jeunes « campent » chez des amis, les parents vont à l’hôtel. Le « capitaine », Charles Seignobos, est décédé à L’Arcouest, les allemands ont rasé la maison. Jean Perrin aussi est décédé, aux Etats-Unis en 1942. Les résistants ont été nombreux dans la région et Frédéric est sollicité pour différentes initiatives. Les possibilités de navigation sont encore limitées, seul leur canot à rame et voile est disponible cette année là, avec les canoés réexpédiés de la région parisienne.

Frédéric Joliot, nommé Haut-Commissaire, a la responsabilité du programme scientifique du CEA avec un comité scientifique composé de Francis Perrin, Irène Joliot-Curie, Pierre Auger et Lew Kowarsky. L’administrateur, Raoul Dautry a la responsabilité des questions administratives et budgétaires. L’industrie est largement détruite, la construction de Zoé a bénéficié d’un accès précieux bien que non autorisé, aux surplus américains.

De juin 1946 à 1947, la commission de l’énergie atomique de l’ONU organise une série de réunions, de responsables politiques d’une part, d’experts de l’autre pour dégager un consensus sur la gestion des questions nucléaires, militaires et civiles. Frédéric Joliot et Pierre Auger s’y rendent comme experts. Face au plan présenté par les Etats-Unis, très intrusif pour les futures applications civiles et supposant la pérennité de leur monopole sur la bombe, des contre-propositions sont avancées par les Soviétiques.

Les réunions sont un échec. « Il y avait des arguments à prendre en compte dans les propositions des uns et des autres. Si on nous avait laissé travailler, entre scientifiques on aurait trouvé des solutions » écrit Frédéric Joliot à sa femme.

Irène Joliot-Curie s’engage dans des organisations issues de la résistance, dont l’Union des femmes françaises et la Fédération démocratique internationale des femmes. Elle s’exprime sur les droits des femmes, notamment celui de vote, la paix, l’indépendance de l’Indochine. Elle se rend aux Etats-Unis pour soutenir les républicains espagnols en mars 1948 et participe à Wrolaw en Pologne au Congrès international des intellectuels pour la paix, où l’accompagne sa tante Helena Slazay.

Irène Joliot-Curie a un visa en bonne et due forme lorsqu’elle arrive à New-York. Elle est néanmoins internée à Ellis Island comme personne indésirable. Des protestations et les démarches du Comité qui l’avait invitée pour des conférences en soutien aux républicains espagnols obtiennent l’annulation de la décision. Le climat violemment anti-communiste se traduit néanmoins par des articles virulents.

Le Comité est présidé par Albert Einstein et dirigé par le Docteur Edward Barski, médecin antifasciste. Irène Joliot-Curie fait avec succès sa tournée de conférences. C’est aussi pour elle l’occasion de revoir Einstein.

Devant le congrès du parti communiste, la prise de position de Frédéric Joliot contre l’éventualité d’une guerre contre l’Union soviétique sert de prétexte à la révocation de Frédéric Joliot du CEA. Une révocation souhaitée publiquement aux Etats-Unis. Le mandat de commissaire d’Irène Joliot-Curie ne sera pas renouvelé l’année suivante.

Les Joliot-Curie entament « une traversée du désert ». Leurs laboratoires perdent des subventions, au détriment de leurs projets de modernisation, du cyclotron en particulier, dans une période où par ailleurs la recherche scientifique a disparu des priorités. Son élection à la présidence de la section de physique nucléaire et corpusculaire du CNRS donne à Frédéric Joliot une tribune pour mobiliser en faveur d’une relance en France.

En juillet 1954, un congrès international « sur le rôle du cortège électronique dans les phénomènes radioactifs » à lieu à l’Institut du radium sous le patronage des Joliot-Curie et de Louis de Broglie. Des physiciens américains et soviétiques s’y rencontrent, les contacts étaient jusqu’alors rompus. En octobre 1954, la célébration du vingtième anniversaire de la radioactivité artificielle a lieu en présence des ministres de l’éducation nationale et de la recherche.

Toujours fatiguée, Irène Joliot-Curie revient de Courchevel pour être hospitalisée à l’Hôpital Curie où on lui diagnostique une leucémie. Elle décède le 17 mars 1956. Les obsèques nationales, décidées par le gouvernement, ont lieu à la Sorbonne. La succession d’Irène Joliot-Curie à la chaire de physique et radioactivité est urgente. Un accord est trouvé avec le Collège de France pour que Frédéric Joliot puisse lui succéder.