Jean Michel Biquard et Denis Guthleben

Frédéric Joliot-Curie Directeur du centre national de la recherche scientifique (août 1944 – novembre 1946)

Auteur : Jean Michel Biquard et Denis Guthleben

Le 20 août 1944, Frédéric Joliot Curie était nommé à la tête du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), cette décision amorcée lors des réunions du Conseil National de la Résistance prendra forme dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 signée par Charles de Gaulle chef du gouvernement provisoire de la France (1).

On peut penser que la décision de Charles de Gaulle s’appuyait sur la contribution exceptionnelle de Frédéric et Irène Joliot-Curie dans la découverte de la radioactivité artificielle et l’impact qu’une telle découverte aura sur le contrôle de l’énergie et la production d’électricité si vitale à l’époque de la reconstruction du pays.

Rappelons le discours de Frédéric Joliot Curie lors de la réception du Prix Nobel à Oslo en 1935 où il évoque « l’énorme libération d’énergie que l’on peut attendre du contrôle de la transmutation des Atomes ».

Un investissement massif dans la recherche scientifique serait le levier essentiel pour la reconstruction du pays (1).

Les réunions que préside Frédéric Joliot à partir de septembre 1944 ont aussi et surtout pour ambition de préparer la suite. Le directeur du CNRS y expose les grandes lignes de l’organisation de la recherche qu’il entend mettre en place une fois la paix revenue. Sa proposition la plus importante est de créer un comité directeur fort de quelque 150 personnalités scientifiques. À ses yeux, cette instance doit être « chargée de l’organisation de la Recherche Scientifique pure et appliquée, de l’élaboration des programmes de recherche, du choix des travaux à entreprendre et du contrôle de leur exécution ».  À l’image du Conseil supérieur créé à l’initiative de Jean Perrin en 1933, associé au Service Central installé sous le Front populaire, cette assemblée qui « représenterait véritablement la Recherche Scientifique française » aurait elle aussi son « organe exécutif », en l’occurrence un directoire siégeant au sein du CNRS. Henri Moureu, qui découvre ce projet lors de la réunion du 18 septembre 1944, interpelle le directeur du CNRS : « Vous pensez, en somme, nous mettre en République ! ».

C’est en effet le sens des propositions de Frédéric Joliot, qui envisage en outre de structurer ce comité en sections, qu’il désigne sous le terme de « comités spécialisés ». Ces derniers, couvrant chaque domaine, de même que des sujets de recherche ciblés impliquant de croiser les disciplines, fonctionneraient comme des organes de coordination et de gestion collectives, avec des réunions régulières. En leur sein ne siégeraient que des « personnalités d’esprit jeune et d’une activité reconnue », provenant de tous les horizons afin de garantir la structuration la plus large sous la houlette du CNRS. Tout en renouant avec les principes définis par Jean Perrin et Jean Zay avant le conflit, Frédéric Joliot a tiré les leçons des années passées, lors de la mobilisation et sous l’Occupation : « les laboratoires de recherche rattachés aux différents ministères et pourvus d’un budget propre se sont toujours opposés, dans le passé, à leur absorption par le CNRS. Il ne paraît pas souhaitable de tenter à nouveau cette fusion. Ces organismes de recherche devraient conserver leur autonomie budgétaire, mais ils pourraient être représentés au sein du Comité directeur, de manière à assurer leur collaboration efficace avec le CNRS. Il en est de même pour les laboratoires de certains services publics comme la SNCF ou de certaines entreprises privées ».

Les contours de l’assemblée en gestation se précisent au fil des mois, lors de débats qui sont parfois vifs.

Une réforme du CNRS s’imposait pour pallier les lacunes de l’enseignement reçu par les étudiant(e)s dans les facultés des sciences et dans les grandes écoles.

Frédéric Joliot-Curie et Georges Tessier préconisent un « enseignement préparatoire à la recherche » et rédigèrent une ordonnance (2) qui fixe encore aujourd’hui l’organisation de la recherche scientifique en France. Un des buts était d’assurer une perspective de carrière aux étudiants(e)s qui voulaient se consacrer entièrement à la recherche scientifique (3).

Les idées et les réalisations de Frédéric Joliot-Curie à la tête du CNRS pour une courte période avant sa nomination comme Directeur du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) ont imprégné le fonctionnement du CNRS jusqu’aux périodes récentes.

Soulignons en particulier l’obtention pour les chercheur(e)s, les Ingénieur(e)s et les technicien(ne)s du statut de fonctionnaires d’état en 1984.Cette idée qui était en germe dans les textes publiés pendant sa mandature :

(1) Denis Guthleben : Histoire du CNRS de 1939 à nos jours : Armand Colin Poche 2013

(2) Ordonnance 45-2632 du 2 novembre 1945 (Journal officiel du 3 novembre 1945, pages 7913-7935)

(3) Pierre Biquard: « Frédéric Joliot-Curie et l’énergie atomique » Edition L’Harmattan  2003 (Pages 85-93)

Michel Blay: Quand la recherche était une république : Edition Armand Colin – Comité pour l’histoire du CNRS,2011, p157